Le 10 mai 1942, square Montholon (Paris Xème), tous deux engagés dans les FTP attaquent à la grenade un hôtel réservé à
la Wehrmacht. Une patrouille de police les prend en chasse. Feferman est abattu sur place et Feld, gravement blessé, est conduit
à l'infirmerie de la prison de la Santé. Il est condamné à mort. Pas encore guéri, il sera fusillé
au stand de tir d'Issy-Les-Moulineaux, place Balard à Parisle 22 août 1942.
Quand tu recevras cette lettre, je ne serai plus de ce monde. Je sais la douleur que ma mort pourrait te faire sentir et surtout pour
notre pauvre petite mère*, c’est pour cela que je voudrais que tu sois avec elle très gentille parce que ma disparition lui portera,
j’en suis sûr et j’en ai peur, un coup décisif. Je voudrais aussi que tu la consoles de ton mieux. J’aurais bien voulu savoir
si tu as eu un garçon ou une fille, mais je suis sûr que ton enfant est un bel enfant et je l'embrasse de tout mon cœur.
J’ai été à la Santé pendant trois mois et demi et j'ai toujours eu pendant ma détention un excellent moral. Maintenant,
je meurs la tête droite et avec le sourire. On ne meurt, vois-tu, qu’une fois. Je voudrais que tu embrasses bien ma petite
Sylvia que j’ai toujours aimée. Ainsi que mon père qui a toujours été un bon papa. Pour notre pauvre maman, ne lui annonce
pas brusquement que j'ai été fusillé, embrasse-là pour moi et bien fortement car c’est mon dernier baiser. Enfin,
je voudrais que tu embrasses bien Georges de ma part, Nelly et notre cher frère Charles qui, je crois, supportera ce coup
avec courage ainsi que toute notre famille. Vois-tu, il faut que vous ayez du courage car moi j'en ai.
MAURICE FEFERMAN («FIFI»)
(Tombé au combat le 10 mai 1942)
MAURICE FELD
(Fusillé le 22 mai 1942)
Leur commun combat et leur mutuel sacrifice ont si étroitement
lié Maurice FEFERMAN et Maurice FELD qu'il n'est plus possible de séparer
leur souvenir dans nos esprits.
Ils ont suivi à peu près le même chemin avant de se retrouver dans la lutte clandestine. FEFERMAN est né à Varsovie
en 1921 mais il avait à peine deux ans quand ses parents vinrent s’
installer à Paris. Excellent élève, il rêvait de devenir poète et journaliste mais dut suivre les cours d’une
école commerciale pour gagner sa vie.
Lorsque la guerre éclate, il a dix-huit ans et travaille chez Hispano-Suiza à Colombes. Au moment où les troupes
allemandes envahissent la France, l’usine est évacuée et Maurice Feferman
est envoyé lui aussi en province, mais il n’y reste pas longtemps. Il revient dès que possible à Paris pour
reprendre contact avec les premiers éléments de la Résistance. Arrêté au bout
de peu de temps, il sera d’abord traîné de prison en prison : Fresnes, le Cherche-Midi, la Santé, puis
envoyé au camp de Pithiviers. Il devient rapidement membre du Comité de Résistance
de ce camp et responsable à la Jeunesse. Avec l’aide de ses camarades du camp et du dehors, son évasion est
organisée et réussie. Il rejoint Paris où se sont constituées les premières
unités de F.T.P.F. (Francs-tireurs et partisans français) C’est là, au cours des actions menées en commun,
qu’il rencontre Maurice FELD, son cadet de plusieurs années, né lui aussi
à Varsovie.
Maurice FELD est né le 27 septembre 1924 à Varsovie. Ses parents, David et Cécile, accompagnés de leurs enfants,
Charles, Thérèse et Maurice, viennent en France. Ils sont naturalisés en 1934.
Encore enfants, Thérèse et Maurice adhèrent aux Pionniers rouges mais l’aîné, Charles, est déjà membre du
Parti communiste et il épouse en 1937 Nelly FELD, jeune militante, qui sera connue plus tard comme journaliste de la presse
clandestine et travaillera à l'Humanité après la guerre.
En 1939. David et son fils Charles sont mobilisés mais bientôt David est démobilisé et Charles versé dans une
unité motorisée, fait la campagne de France et se trouve incorporé dans l’
armée de l’Armistice. Lors d'une permission, il demande l’avis du Parti qui lui conseille de ne pas
quitter l’uniforme. Démobilisé en 1942, il gagne Lyon et y retrouve
son épouse Nelly. Charles est immédiatement chargé d’une responsabilité au sein du Front National. Il est
cofondateur du Mouvement national contre le racisme (M.N.C.R.) et rédacteur
de son journal « Fraternité »
En octobre 1940, Georges GHERTMAN avait épousé la sœur de Maurice et tous les deux sont des militants actifs
dans la Résistance. Toute cette famille progressiste est un foyer d’
activité rayonnante. Maurice FELD rêvait de devenir ajusteur et, plus tard, aviateur et il entre en apprentissage
chez Renault où il apprend vite et bien, cependant qu’il milite
activement aux Jeunesses communistes. A quinze ans, il distribue des tracts, colle des papillons.
Le 18 octobre 1941, la police fait irruption au domicile de la famille Feld, et lors de la perquisition, on
trouve des tracts clandestins, des pièces de bronze où sont
gravés des slogans
communistes et patriotiques (cela était dû à l’initiative de Samuel TYSZELMANN aidé par Maurice FELD).
David est interné à Châteaubriant, Cécile au camp des Tourelles mais Maurice,
trop jeune, est libéré et laissé sous la surveillance d’un tuteur et désormais il vit chez sa sœur
et son beau-frère, G. GHERTMAN.
En 1941, Georges GHERTMAN est responsable politique des Jeunesses communistes dans la Résistance des 4ème et 10ème
arrondissements de Paris et et en cette qualité, il fait passer Maurice Feld et Maurice Feferman à l′Organisation spéciale (O.S.).
Désormais, toute liaison avec qui que ce soit leur est interdite et tous deux sont immédiatement pris en charge par
l’organisation. Pour tous ces jeunes commençait une vie extrêmement difficile et toujours tendue. Ils étaient attachés
au groupe d’action et d’intervention animé oar Georges Tondelier. Sous sa direction, ces deux jeunes résistants ont
participé à toutes les actions : attaque au siège du R.N.P. fasciste de Marcel Déat, coupure d’un câble de dix mètres
d’Aulnay et de l'aéroport du Bourget, exécution d’un officier nazi, attaque d’un bordel destiné aux Allemands et
nombreuses autres actions courageuses, telles l’attaque contre l’Hôtel Impérator, l’attaque faubourg Saint-Martin
d’une permanence fasciste ainsi que celle contre le journal « Pariser Zeitung ». Dans la nuit du 2 décembre 1941,
tous les deux ont tué un officier allemand et c’est Georges Ghertman lui-même qui avait surpervisé cette action pour
en faire le rapport à ses supérieurs.
Maurice Feld a raconté à G. Ghertman comment il avait échoué dans son attaque contre un officier et surtout
la frayeur qui s’était emparée de lui à cette occasion. C’était un soir du mois de décembre 1941 au métro
Ternes : « Dans le soir brumeux à souhait, col relevé, le chapeau bien enfoncé sur les yeux, je guettais
un officier allemand isolé. Et dans de bonnes conditions de tir et de repliement, il s’en est présenté
un, qui cherchait visiblement son chemin. J’arme mon 7,65, me glisse derrière lui, applique le canon
près de sa nuque et je tire... Le coup ne part pas, le pistolet s’est enrayé. L’officier, un costaud,
d’une main de fer me saisit le poignet, hurle au secours et essaie de dégainer sa propre arme.
Dans un effort surhumain, je l’ai contourné et lui ai donné un violent coup de pied dans les parties.
Il lâcha prise et s’écroula. Tout ceci s’est passé en quelques secondes mais je n’ai jamais eu aussi peur de ma vie.
Après une course effrénée, je me suis retrouvé dans ma planque et me
suis affalé sur mon lit où j’ai tremblé une bonne partie de la nuit... »
Et voici le témoignage de G. Ghertman qui m'a été donné en mars 1983 :
"je te raconte cet épisode qui m'a été rapporté le lendemain même par Maurice Feld, qui était âgé de seize ans,
pour mieux faire comprendre à quelles rudes épreuves, tant physiques que morales étaient quotidiennement exposés
ces garçons. Tondelier fut arrêté le 8 mars 1942 à la suite d'un attentat manqué contre l'exposition antibolchevique.
M. Feld et M. Feferman se sentirent "filés" par des policiers. Le 10 mai ils sont venus me voir complètement bouleversés
et transformés ... Feferman avait les cheveux teints et Feld trouvait difficilement ses
mots.
- Que se passe-t-il ?
-
Oh, rien de grave, mais enfin...
des indices qui petit à petit se précisent.
-
Après avoir accompagné mon amie, Sylvia Brodfeld, rue Obcrkampf, je me suis aperçu qu'un cycliste me suivait me dit Feld.
Et Feferman a eu sa planque investie par la police.
Il m'a relaté les faits...des faits si troublants que je leur ai demandé de stopper net toute activité.
Ils ont alors promis de disparaître et d'attendre des directives."
Feferman et Feld ont déjà participé ensemble à plusieurs exploits lorsqu’un jour ils sont envoyés tous deux pour procéder
à un sabotage dans une usine travaillant pour l’industrie allemande. Leur but est atteint mais Feld ne parvient pas à se sauver
assez vite et il est arrêté ; alors Feferman qui était déjà en sureté revient sur ses pas et ouvre sur les agents un feu si dense
que ceux-ci sont contraints de lâcher Feld. Et les deux jeunes garçons, sains et "saufs, se jurent fidélité-et dévouement jusqu’à la mort.
Et ils n’allaient pas tarder à prouver la valeur de ce serment. En plein milieu de l’après-midi, le 10 mai 1942, ils attaquent
tous deux un hôtel occupé par les Allemands, square Montholon. L’action, bien préparée, est menée avec succès et déjà Feld, mêlé
à la foule, avait échappé aux agents, mais cette fois c’est Feferman qui n’est pas parvenu à se dissimuler et les agents sont à
ses trousses. II est déjà blessé quand il aperçoit une bicyclette et tente de s’enfuir en se protégeant comme il peut Il gagne la
rue des Petites-Ecuries, toujours harcelé par la police, lorsque Feld, qui a suivi le combat, voit que son ami est perdu s’il
n’intervient pas. Il’ se précipite alors vers les agents et décharge son revolver sur eux, mais il est atteint à la jambe et tombe sans
pouvoir se relever. Feferman continue jusqu’au bout à se défendre contre des ennemis qui s’acharnent sur lui et lorsqu’
il voit qu’il n’y a
plus rien à faire, il utilise sa dernière balle pour se donner la mort. Le costume qu’il portait, précieusement conservé au Centre de
Documentation de l’U.J.R.E., porte plus de vingt-cinq traces de balles et des taches de sang séché.
Feld, dont le sacrifice hélas n’a pas réussi à sauver Feferman, est transporté, grièvement blessé, à l’hôpital.
Les nazis le font soigner puis, lorsqu’il est rétabli, ils fusillent le 22 août 1942 cet héroïque enfant de dix-sept ans
et demi. De sa prison, Il écrivit une dernière lettre à sa sœur, en prison elle aussi, dans laquelle s’exprime une fois de
plus son inébranlable courage :
Deux plaques, l’une sur la
maison de Maurice Feld, l’autre
à l’endroit même où tomba
Feferman, rappellent à tous leur
sacrifice et nous voudrions y
ajouter un des derniers poèmes,
une chanson écrite par Feferman,
alors qu’il était à Fresnes et
revenait à son rêve d’enfant :
être poète.
JANVIER
En gros flocons
D’épais coton
La neige blanche
Couvre les toits
Verse le froid
En avalanche
Et vient le soir
Brille un miroir
Où se reflète
Sur le sol dur
Un ciel trop pur
La mort qui guette
Tout est gelé
Tout est glacé
Et la froidure
|
Happe en la nuit
Sans même le bruit
De sa morsure
Mais déchirant
Se lève un vent
Qui plainte vaine
Arrache un cri
A ce qui vit
Ronge sa peine
Du jour le point
N'apporte point
La délivrance
Le matin clair
Ne charge l'air
Que de souffrance.
|
12 Janvier 1942
Tiré du livre : Combattants, héros et martyrs de la Résistance de David Diamant (Editions Renouveau 1984, 315p)
|
|